



Kintsukuroi : l'art du kintsugi
Le mot japonais Kintsukuroi, à travers les multiples sens qu’il peut prendre dans la langue japonaise - et dont l’art du kintsugi est le sens le plus commun - porte l’essence de la façon dont nous regardons l’abus dans la vie d’une personne.
L’un des sens possibles est “Fermer la bouche, se taire, rester silencieux”. Et c’est bien souvent ce que l’abus produit dans la vie des personnes : un silence assourdissant.
L’abus est le trauma qui vient briser la porcelaine de notre vie, sans mot pour le dire, la laissant en l’état, sans devenir possible. Le Kintsukuroi - l’art du Kintsugi - va permettre non seulement de restaurer la porcelaine brisée, lui rendant ainsi son devenir, mais va également la magnifier et la valoriser.
Ce mot fait aussi référence à l’alchimie et au Tao. Cela parle à nos yeux de la transformation mystérieuse que la personne abusée va devoir opérer. Cette voie, éminemment personnelle, va, à travers une alchimie corporelle, psychologique et spirituelle, sculpter, transmuter la matière triviale et laide de l’abus, pour accéder à la réalisation de soi-même. Là réside la valorisation et la magnificence. “Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or” écrit Baudelaire…
L’or est également l’un des sens que peut prendre ce mot. L’or est LE métal précieux par excellence. Inattaquable, il symbolise la pureté, le principe divin dans la matière. Ces mots sont peut-être pompeux. Pourtant, nous croyons réellement qu’il existe en chacun une partie inaltérable, le précieux du vivant, et que ce principe est à l’oeuvre dans le processus de résilience qui permet aux personnes abusées de continuer leur route.
Un autre sens possible du mot Kintsukuroi est la planète Vénus. Ce sens possible vient surenchérir sur le précieux du vivant en apportant une nouvelle dimension symbolique. Vénus est l’étoile du berger, la première à apparaître dans le ciel nocturne, la dernière à disparaître au petit jour : un guide indéfectible au fil du temps, nous permettant de ne pas nous égarer. Mais Vénus symbolise également l’amour, l’appel de l’être à une communion affective qu’aucun drame ne peut définitivement faire taire.
L’art du Kintsugi nous rappelle que devenir l’alchimiste de nos vies abîmées nécessite un engagement volontaire et patient. Car l’artiste dédié au kintsukuroi doit rester concentré, habile, à la fois rapide et persévérant. La dextérité ne suffit pas : la réparation et le séchage s’étalent sur plusieurs mois nous rappelant que le processus de la vie doit suivre son cours et que l’on ne saurait tirer sur l’herbe pour la faire pousser.